International - Publié le 09/11/2018 Lecture 4 min

Entretien avec Romain Duda, spécialiste des populations « autochtones » d’Afrique Centrale

Romain Duda est ethnologue, anthropologue et chercheur associé au Musée de l’Homme (CNRS-MNHN). Spécialiste des populations « autochtones » d’Afrique centrale, il nous livre son retour d’expérience sur l’un des peuples les plus isolés au monde, les Aka, habitants historiques des forêts équatoriales du Congo. Laissé à l’abandon, ce peuple souffre de discrimination sociale et de marginalisation sanitaire. Depuis 2017, les équipes de l’Ordre de Malte France effectuent un travail de longue haleine sur le terrain, qui nécessite une approche anthropologique pour soutenir les Aka dans le respect de leur identité.

Comment avez-vous été amené à travailler avec l’Ordre de Malte France ?

L'ethnologue Romain Duda

Guy Steiner, le directeur du projet « Amélioration des conditions de vie des populations autochtones de la Likouala » de l’Ordre de Malte France a fait appel à des chercheurs du Musée de l’Homme et du CNRS. J’avais terminé mon doctorat sur les populations « autochtones » Baka au Cameroun. J’étais donc prêt à partir sur le terrain et le projet de soutien aux Aka du Congo m’a semblé fort intéressant car ambitieux.

En outre, c’est assez rare que les ONG fassent appel à des anthropologues pour prendre en compte l’interculturalité et acceptent un regard critique sur leurs activités, alors que c’est vital.

« Les Aka sont malheureusement de plus en plus discriminés. »

Pourquoi est-ce important de venir en aide à ces populations ?

Durant la période coloniale, les Aka ont commencé à se sédentariser et à pratiquer l’agriculture, souvent au profit des ethnies voisines (non-pygmées) qui elles furent réquisitionnées pour le travail dans des sociétés concessionnaires d’exploitation (hévéa*, huile de palme, café, etc.). Les Aka ont commencé à devenir une main-d’œuvre sous-payée et peu considérée pour leurs voisins. Un rapport de classes s’est progressivement institué. Les Aka n’ont pas connaissance de leurs droits et le fait d’être une société égalitaire, sans chef, ne permet pas l’émergence de leader à même de les défendre.

*L’hévéa est une espèce d’arbes.

Des relais communautaires en Likouala

© Romain Duda

Comment se réalise concrètement cette collaboration ?

Je suis parti plusieurs fois en mission d’un mois sur le terrain. D’abord, en septembre-octobre 2017, pour faire une évaluation anthropologique du programme. Pour bien travailler avec les Aka, il faut savoir décrypter leur culture. L’anthropologue intervient un peu comme un « traducteur » de culture, pour que celle-ci soit compréhensible pour les acteurs de l’Ordre de Malte France et mieux prise en compte. C’est d’ailleurs une démarche à double sens : j’essaye aussi d’adapter et de faire appréhender les actions de l’association par les populations.

En février-mars 2018, ma seconde mission a consisté à identifier des Aka qui pourraient devenir relais communautaires, identifier le rôle qu’ils pourraient jouer et commencer à les former sur des connaissances médicales de base, l’identification de symptômes, des réflexes de prévention, etc. J’ai aussi eu l’idée d’utiliser le chant et la musique pour faire passer ces messages. La musique fait partie intégrante du patrimoine Aka. Celle-ci est très complexe et intéresse d’ailleurs beaucoup les ethnomusicologues depuis des décennies.

« Des dizaines de vies ont ainsi déjà pu être sauvées. Sur le terrain, on observe que les Aka sont satisfaits des actions car elles répondent à un véritable besoin. »

Quel regard portez-vous sur notre action ?

L’apport de l’Ordre de Malte France en termes de soins est efficace. Actuellement, personne d’autre n’agit auprès de cette population marginalisée ! Mais pour le moment, face à la situation sanitaire, c’est essentiellement l’urgence qui a été gérée. Intervenir dans un tel contexte politique et culturel est complexe et demande du temps. Pour pérenniser l’action, il faut désormais selon moi travailler de façon plus resserrée avec les Aka : être dans l’écoute, prendre le temps de repérer leurs potentiels et assurer des formations.

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