Comme chaque année depuis plus de 50 ans, l’Ordre de Malte France se mobilise dans le cadre de la Journée Mondiale des Lépreux. L’objectif : sensibiliser et rappeler que cette maladie est loin d’être éradiquée. Pour mieux comprendre ce fléau qui touche les pays les plus pauvres, nous nous sommes tournés vers deux spécialistes de cette maladie infectieuse : le Professeur Francis Chaise, directeur des programmes lèpre au sein de l’Ordre de Malte France et le Docteur Albis Francesco Gabrielli, médecin de santé publique à l’Organisation Mondiale de la Santé.
Le Professeur Francis Chaise participe depuis 1990 aux missions dédiées à la lèpre au sein de l’Ordre de Malte France. Et depuis 2013, il dirige le programme lèpre de l’association.
Spécialisé en chirurgie de la main et de la lèpre, il se rend régulièrement dans les pays où notre organisation est basée (Mauritanie, Asie du Sud-Est…) pour opérer des personnes souffrant de séquelles de cette maladie infectieuse.
Médecin de santé publique depuis 20 ans, le Docteur Albis Francesco Gabrielli est spécialiste de la planification, de la mise en œuvre et du suivi-évaluation des programmes de lutte contre les maladies transmissibles dans les pays tropicaux à faible revenu. Après avoir travaillé pour l’OMS et d’autres organisations dans 70 pays, il travaille depuis 2017 au siège de l’OMS (à Genève), dans le Département des Maladies Tropicales Négligées, comme Chef d’Equipe.
Comment prévenir la lèpre alors qu’une personne peut avoir contracté la maladie sans s’en rendre compte pendant longtemps ?
Francis Chaise : Il faut porter une attention soutenue à des signes cutanés et nerveux en zone d’endémie. Ensuite, il faut systématiquement dépister les cas contact. Un traitement préventif des cas contact par la rifampicine aide en ce sens. Cela exige un investissement lourd en temps et en moyens. Et à ce jour, il n’existe pas de vaccin contre la lèpre, ni de test fiable pour poser un diagnostic chez un patient ne présentant aucun signe clinique.
Aujourd’hui, comment un malade de la lèpre est-il soigné ?
F.C : Une fois le diagnostic posé, il existe trois médicaments efficaces (rifampicine, clofazimine et dapsone) pour soigner un malade, mais le protocole de soins à suivre varie en fonction du type de lèpre. Il faut 6 mois à 1 an de traitement pour en guérir complètement. Mais des complications sont possibles (réactions immunitaires, névrites, infirmités, mutilations…) qui exigent des interventions chirurgicales, des compléments thérapeutiques, etc.
À partir de quel stade d’évolution de la maladie les séquelles de la lèpre sont-elles irréversibles ?
F.C : La lèpre évolue différemment d’un malade à un autre. Plus la maladie est dépistée tôt, moins les infirmités et les mutilations sont fréquentes. Enfin, les paralysies sensitivo-motrices sont rarement réversibles complètement. Elles induisent des infirmités graves qui elles-mêmes induisent des mutilations que seule la chirurgie peut diminuer.
Quels sont les pays les plus affectés par la lèpre, et pourquoi ?
Albis Francesco Gabrielli : Les trois pays les plus touchés, en termes de nombre de personnes atteintes par la lèpre ainsi que de nouveaux cas dépistés chaque année, sont l’Inde, le Brésil et l’Indonésie. Il y a cependant des petits pays où le nombre de patients, par rapport à la population générale, est plus élevé que dans les trois pays mentionnés.
En ce qui concerne la raison, nous savons que la lèpre affecte particulièrement des communautés pauvres, en manque d’hygiène, où la densité de population est élevée ; cependant, ces conditions sont apparemment nécessaires mais pas suffisantes, car elles sont également présentes dans d’autres endroits où la lèpre représente un problème moins important.
La crise sanitaire engendrée par la Covid-19 a-t-elle eu un impact sur la propagation et le dépistage de la lèpre ?
A.F.G : En général, la pandémie à Covid-19 a eu un impact très important sur les programmes contre les maladies tropicales négligées (MTN), dont la lèpre. Les difficultés de travail liées à la Covid-19 ont entraîné une série de conséquences : perturbations des interventions communautaires (y compris la recherche active des cas), retards dans les services de diagnostic, de traitement et de prise en charge, interruption des activités de suivi-évaluation, retards dans la fabrication, le transport et la livraison des médicaments, etc.
Vu d’ici, y a-t-il un horizon auquel on peut espérer assister à l’éradication complète de la lèpre ?
A.F.G. : Il est difficile de faire un pronostic, car les mécanismes de transmission de la lèpre n’ont pas encore été complètement élucidés. En raison de la longue période d’incubation de la maladie, il faut s’attendre à ce que des personnes ayant contracté la maladie il y a longtemps continuent à « émerger » dans les prochaines années. Mais l’interruption de la transmission n’est que l’une des facettes qui doit attirer notre attention. La stratégie de l’OMS portant sur la lèpre prône une vision à long terme nommée « Zéro lèpre ». Elle inclut 5 composantes avec la personne au centre de l’action : zéro infection, zéro maladie, zéro incapacité, zéro stigmatisation et zéro discrimination.
La lèpre est la maladie qui, dans mon imaginaire, incarne l’idée du « service aux autres ». Dans plusieurs pays (…) j’ai été le témoin du dévouement (…) du personnel de santé qui s’occupe des personnes atteintes de la lèpre. (…)
Il est aussi remarquable que la lèpre reste l’un des domaines de santé où les institutions à caractère religieux, [comme] l’Ordre de Malte, sont impliquées de façon importante, et cela par une tradition ancienne, mais constamment renouvelée par le souci de se rendre utiles aux plus démunis.
Comment agir avec nous ?