Cette année, la Journée mondiale des malades de la lèpre souffle sa 70e bougie. Si de nets progrès ont été réalisés pour la prendre en charge ces dernières décennies, il reste encore beaucoup à faire pour éradiquer cette maladie étroitement liée à la pauvreté. Le Professeur Francis Chaise est chirurgien de la main. Il dirige les programmes lèpre de l’Ordre de Malte France depuis les années 80 et opère régulièrement des personnes atteintes par la maladie, en Afrique de l’ouest et en Asie du sud-est. Entretien.
La lèpre est une maladie infectieuse, liée à une mycobactérie qui a plusieurs caractéristiques essentielles :
Elle est dotée d’un métabolisme lent. Quand une personne est contaminée, la maladie ne « s’exprime » pas avant 5, 10 ou 20 ans, après la contamination. Ainsi, la personne est porteuse de la maladie, mais sans le savoir. La transmission peut donc se faire avant que la maladie ne s’exprime. La mycobactérie a un tropisme pour les nerfs périphériques qu’elle peut détruire entrainant ainsi des paralysies motrices et sensitives d’évolution redoutable. Elle n’atteint pas le cerveau. Cette mycobactérie peut déclencher aussi des réactions inflammatoires de type immunitaire. Les extrémités et le corps gonflent… Les nerfs se retrouvent plus ou moins rapidement paralysés, dans les cas de gravité extrême de la maladie. 30 à 40 % des malades ont des réactions de ce type.
Seul un traitement bien conduit peut éviter l’apparition de ces paralysies responsables des mutilations bien connues. Souvent, dans les zones où la lèpre sévit, les personnes marchent pieds nus et se blessent, de petites ulcérations s’infectent, etc. Même chose avec les doigts. L’absence de contrôle de ces infections conduit à des amputations.
Plus le diagnostic est précoce, moins il y a de séquelles et plus les malades restent intégrés au sein de leur communauté. Pour diagnostiquer précocement, il faut aller chercher les malades. Sans diagnostic, la maladie évolue, et la destruction du capital nerveux avec, sans parler de la transmission. Notre rôle consiste à nous rendre dans l’espace muet de la maladie.
Pour procéder au diagnostic, il faut détecter des zones cutanées qui ont perdu leur coloration et qui sont devenues insensibles. Si on voit ce que l’on appelle une tache « achromique », alors il n’y a malheureusement aucun doute. Pour faire le maximum pour les diagnostics précoces, on a mis sur pied des missions mobiles dans les villages reculés. C’est fondamental, car un malade traité n’est plus contagieux 2 à 3 jours après le début de la prise de médicaments et 98% des bactéries qui sont la cause de la maladie sont détruites.
Depuis les années 70, les traitements antibiotiques sont efficaces. Le défi se trouve dans le suivi de la prise des médicaments par les malades eux-mêmes. C’est loin d’être évident et, dans certains pays, quand vient la saison des pluies, on ne peut plus se rendre dans les zones reculées. Depuis 5 ans maintenant, nous avons mis en place la détection active, au cœur de l’environnement d’une personne déjà diagnostiquée.
Dans les villages, avec les familles, les usines, les fermes… on donne des antibiotiques. Une dose de rifampicine administrée en préventif à chaque personne qui se trouve dans l’entourage du malade. Cette procédure semble diminuer sensiblement la survenue de nouveaux cas.
Ahmedou Ahmed Abdel Kader préside l’Association Mauritanienne pour la Promotion des Handicapés de la Lèpre (AMPHL). Il a lui-même été diagnostiqué à l’âge de 9 ans :
« (…) Après 6 ans au cours desquels la lèpre s’est développée dans mon corps, un médecin français m’a prescrit un médicament disponible (le Dapsone, car la polychimiothérapie n’existait à ce moment-là). Je suis le 7è de ma famille, et personne n’a contracté la maladie jusqu’à ce jour. Mais la lèpre ne m’a pas permis de poursuivre mes études. Ma main droite est mutilée. (…) Je souffre [aussi] de sueurs abondantes, de troubles (oculaires) et de pertes de sensibilité. Je perds souvent mes chaussures, sans m’en rendre compte. (…) »
Le sous-continent indien (y compris le Pakistan et le Bengladesh), le Brésil, l’Indonésie, la Birmanie, Madagascar et l’Afrique forestière.
Il faut, par exemple, continuer à permettre à des associations comme la nôtre de former des médecins locaux. À mon échelle, j’ai de grandes difficultés à trouver un successeur. Il faut aussi continuer à donner les moyens aux médecins et aux dispositifs existants de poursuivre leurs missions de dépistage et de prise charge des malades. Par ailleurs, il y a des pays où nous ne pouvons plus travailler, comme beaucoup d’autres organisations, ce qui n’arrange rien.
L’Ordre de Malte France soutient 6 structures hospitalières dans le centre du pays. Sur place, on cultive le café, le thé et le cacao. Le café est exporté. Ce sont les malades eux-mêmes qui le récoltent. Ils touchent ainsi des revenus leur permettant de faire vivre leurs familles. À Saïgon, les malades de la lèpre accompagnés par l’Ordre de Malte France cultivent des champignons qui servent pour des produits cosmétiques. Au total, 500 familles de malades de la lèpre en vivent.
L’association a conçu des parkings, en lien avec le maire de Nouakchott (la capitale). Les personnes qui surveillent ces parkings sont des malades de la lèpre et vivent grâce aux revenus qu’elles touchent à travers cette activité.
Comment agir avec nous ?